L’IMPORTANCE DE MAINTENIR ET DE PROMOUVOIR L’EXCELLENCE PROFESSIONNELLE DES ENSEIGNANTES ET ENSEIGNANTS QUÉBÉCOIS
L’obligation professionnelle de formation continue chez le personnel enseignant est mise au jeu devant nos tribunaux de droit québécois. Nous vous présentons dans cette chronique les éléments clés du jugement de la Cour supérieure et ceux d’une sentence arbitrale récente examinant le droit de direction d’imposer certaines formations au regard de cette nouvelle obligation légale du personnel enseignant.
Cour supérieure
Dans un jugement récent, la Cour supérieure[1] confirme la validité constitutionnelle des dispositions de la Loi sur l’instruction publique [2], portant sur l’obligation de participer à un minimum de 30 heures d’activités de formation continue [3] pour le personnel enseignant.
Cette décision d’importance rappelle le cadre du régime particulier de négociation collective applicable au personnel enseignant du secteur public afin de répondre à la première question: est-ce que ces dispositions légales contreviennent aux droits d’association tels qu’ils s’exercent dans ce cadre?
Par ce recours, les demandeurs, soit la FAE [4] et ses syndicats affiliés, soutiennent en effet que l’obligation ainsi imposée contrevient à la liberté d’association.
Les chartes canadienne et québécoise en matière de droits et libertés [5] protègent le droit à la liberté d’association, qui comprend le droit de grève. L’interprétation de la portée de ce droit a fait couler beaucoup d’encre depuis l’affaire Health Services [6] rendue en 2007 par la Cour suprême, notamment en 2015 dans le cadre de l’affaire Saskatchewan [7]. Voici les principes qui s’en dégagent:
Les chartes canadienne et québécoise protègent le droit à un processus véritable de négociation collective, mais ne garantissent pas l’atteinte de résultats ni la réalisation des objectifs poursuivis par l’association de travailleurs lors d’un tel processus.
Elles ne confèrent pas non plus de droit à un modèle ou régime particulier de relations de travail.
Toute restriction à la négociation collective ne constitue pas une atteinte à la liberté d’association garantie par les chartes. L’entrave aux droits de négociation collective doit en ce sens être substantielle.
Les dispositions contestées, par leurs effets ou objets, constituent-elles une ingérence dans le processus de négociation collective?
Le cas échéant, l’ingérence dans le processus de négociation collective est-elle substantielle au point de constituer une atteinte à la liberté d’association?
À ce titre, deux facteurs sont considérés :
Les dispositions contestées affectent-elles des sujets d’importance pour la liberté d’association des enseignants et leur capacité de réaliser des objectifs communs en travaillant de concert?
Les dispositions contestées respectent-elles le processus de consultation et de négociation de bonne foi?
Dans l’affaire que nous commentons, dans un premier temps, la Cour procède à l’analyse de ces critères et conclut :
Qu’il y a eu ingérence dans le processus de négociation en l’espèce puisque les dispositions contestées imposent au personnel enseignant de nouvelles conditions de travail, non négociées.
Que ces conditions auraient pu faire l’objet d’une négociation collective. Il s’agit donc d’une ingérence législative dans la négociation des conditions de travail du personnel enseignant.
Dans un deuxième temps, la Cour supérieure conclut que cette entrave n’est pas substantielle, car bien que le sujet soit d’importance notamment pour les enseignantes et enseignants, qu’il fasse l’objet de négociations depuis plus de 50 ans et qu’il doive faire l’objet de dialogues entre le Syndicat et l’employeur, l’impact limité de la mesure législative en cause permet de diminuer l’atteinte qui est somme toute relative :
«[87] Sans banaliser l’importance de l’obligation imposée aux enseignants, force est de constater que l’ingérence entraînée dans la négociation collective par les Dispositions contestées est somme toute, relative. »
La Cour est en effet d’avis que l’obligation de participer à un minimum de 30 heures de formation continue s’accompagne d’autres mesures qui ont une incidence atténuante sur la gravité de l’ingérence, notamment parce qu’elles reconnaissent l’autonomie professionnelle de l’enseignant à l’égard de son perfectionnement. Selon la Cour, l’ingérence est loin d’être la plus grave, d’autant plus que ce minimum d’heures de formation continue ne contredit aucune disposition de la convention collective.
Dans ces circonstances, la Cour est finalement d’avis que les dispositions contestées n’ont pas pour objet ou pour effet de détourner le personnel enseignant de l’action collective. Elles ne rendent pas la négociation d’apparence futile ou encore les activités associatives des enseignants inefficaces, privant ainsi ces derniers d’une liberté d’association réelle.
Même si la Cour conclut à l’absence de violation de la liberté d’association, elle examine tout de même les critères de justification, si atteinte il y avait eu.
À ce titre, la Cour est d’avis que l’objectif de maintenir et de promouvoir l’excellence professionnelle des enseignantes et enseignants québécois est un objectif qui répond à un besoin urgent et réel. Elle est aussi d’avis qu’il existe un lien rationnel entre l’objectif et la mesure, qu’elle constitue une atteinte minimale aux droits garantis pour les chartes et qu’il existe une proportionnalité entre les effets de la mesure et les objectifs poursuivis.
Enfin, quant aux effets de la mesure, elle est d’avis que les effets bénéfiques l’emportent sur les effets néfastes allégués par la partie syndicale.
Bref, même si les dispositions contestées entravaient de façon substantielle la négociation, une atteinte à la liberté d’association qui en résulterait serait justifiée au sens de l’article premier de la Charte canadienne et de l’article 9.1 de la Charte québécoise.
Reste à voir comment se vivra cette obligation en corrélation avec les dispositions portant sur le perfectionnement prévues dans les conventions collectives. Allia avocats reste à l’affût des développements jurisprudentiels!
Décision arbitrale
Le 24 février 2023, Me Yves St-André rend une décision[8] dans laquelle il conclut que l’introduction de l’obligation de formation continue à la Loi sur l’instruction publique n’a pas pour effet de limiter le pouvoir de gestion d’assigner le personnel enseignant à des formations obligatoires. Il s’agit, en l’espèce, de formations organisationnelles mises en place par le Centre de services. Elles s'inscrivent notamment dans le Plan d’engagement vers la réussite.
Dans son raisonnement, l’arbitre prend soin de faire l'analyse de l’environnement légal. À son avis, l'obligation professionnelle légale cohabite avec le droit de gestion. Il souligne que les enseignants demeurent libres de faire reconnaître ou non ces formations requises et offertes par le Centre de services. Il ajoute que cette obligation de formation ne contrevient à aucune disposition de la convention collective comme l’affirme la Cour supérieure dans son récent jugement.
À son avis, ces formations ne relèvent pas du comité paritaire de perfectionnement dont les modalités sont prévues à la convention collective.
Cette décision est la première depuis l’introduction de cette obligation légale, nul doute que le débat sur la formation continue continuera de faire couler beaucoup d’encre !
Allia avocats reste à l’affût des développements jurisprudentiels!
Cette chronique ne constitue pas un avis juridique, pour toute question particulière, n’hésitez pas à contacter notre équipe!
1. FAE et als c. PGQ, 12 octobre 2022.
2. RLRQ c. I-13.3
3. Cette obligation doit être remplie par période de deux années scolaires.
4. Fédération autonome de l’enseignement.
5. Charte canadienne des droits et libertés, (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11)et Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.
6. 2007 CSC 27.
7. 2015 CSC 4.
8. Syndicat de l’enseignement des Basses-Laurentides et Centre des services scolaire des Mille-îles, SAE 9649, Yves St-André, arbitre, le 24 février 2023