Vigie juridique - Mars 2025

En ce retour de semaine de relâche, Allia avocats désire vous partager les développements récents de certains dossiers et ceux à surveiller pouvant avoir une incidence sur la gestion de vos ressources humaines :

1.   Costco 20 ans plus tard : Une fin d’emploi pour motif d’incapacité n’est pas assujettie au respect de critères rigides

2.     Fonctions exécutées en entier en télétravail : une incompatibilité dans le milieu de l’éducation ?

3.     Négociation de conventions collectives

1.  Costco 20 ans plus tard : Une fin d’emploi pour motif d’incapacité n’est pas assujettie au respect de critères rigides

Il y a maintenant vingt (20) ans, la Cour d’appel rendait un arrêt phare dans l’affaire Costco Wholesale[1], établissant les balises applicables lorsqu’un employeur met fin à l’emploi d’un employé pour motif administratif d’incapacité :

1.      L’employé doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées;

2.      Ses lacunes lui ont été signalées;

3.      Il doit avoir obtenu le support nécessaire pour atteindre ses objectifs;

4.      Il doit avoir bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;

5.      Il doit avoir été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.

L’automne dernier, la Cour d’appel s’est saisie de l’affaire Syndicat de l'enseignement de la région de la Mitis c. Centre de services scolaire des Monts-et-Marées, dans laquelle l’arbitre a rejeté le grief contestant le congédiement d’une enseignante[2].

Le syndicat invoquait que l’arbitre avait rendu une décision déraisonnable en qualifiant le congédiement de l’enseignante d’administratif et en appliquant erronément les critères applicables en pareille matière découlant de l’affaire Costco.

La Cour d’appel rappelle la grande discrétion dont dispose l’arbitre dans la qualification du congédiement, tout en reconnaissant qu’une situation peut comporter des aspects à la fois administratifs et disciplinaires. C’est ainsi que les tribunaux trancheront le plus souvent la question en concluant que le congédiement est essentiellement de nature disciplinaire, ou encore essentiellement administratif.

La Cour d’appel rappelle également de manière claire que les critères applicables en matière de congédiement administratif pour incapacité et rendement insatisfaisant doivent être analysés de manière contextuelle et globale.

Ce n’est pas la première fois que la Cour d’appel rappelle qu’il faut éviter une application rigide de ces critères[3]. Ce faisant, il nous apparait que les débats par lesquels les syndicats réclament l’annulation d’une fin d’emploi, au seul motif que l’employé n’a pas été prévenu explicitement qu’il risquait de perdre son emploi par exemple, n’ont manifestement plus leur raison d’être. Les circonstances de la fin d’emploi peuvent justifier l’absence de cet ultimatum.

2.  Fonctions exécutées en entier en télétravail : une incompatibilité dans le milieu de l’éducation ?

Deux décisions ont été rendues dans les derniers mois dans le secteur de l’éducation, dans lesquelles la possibilité pour un employé d’exécuter l’ensemble de ses tâches en télétravail est analysée.

Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Centre de services scolaire des Premières-Seigneuries[4] : La fonction enseignante incompatible avec le télétravail

Dans la première, l’arbitre statue sur le droit de l’employeur de permettre à des enseignants de faire du télétravail dans un contexte où ces derniers souhaitaient éviter de recourir à leur banque de congés maladie lors d’un isolement lié à la COVID-19. Suivant cette mesure, l’enseignant serait appelé à travailler depuis son domicile alors que les élèves seraient présents en classe, en présence d’un adulte. Bien que cette mesure n’ait pas été mise en place compte tenu des contestations judiciaires puis de la fin de l’isolement lié à la COVID-19, le Syndicat sollicitait une décision sur la question, s’opposant vivement au télé-enseignement.

L’arbitre est d’avis que le droit des centres de services scolaires d’assigner un enseignant à un lieu autre que l’école n’est pas sans limite. Il constate que la convention comporte une obligation de présence à l’école à la clause 8-5.01, que la répartition des heures de travail est encadrée de manière détaillée à la convention et que plusieurs attributions fondamentales de la fonction d’enseignant exigent une présence physique à l’écoles, telles que l’administration de cours et leçons, les activités étudiantes, l’encadrement et la supervision. L’arbitre conclut ainsi que la marge de manœuvre dont dispose l’employeur pour assigner un enseignant dans un lieu autre que l’école ne lui permet pas de morceler la fonction et confier certaines de ses attributions à un adulte qui n’est pas enseignant.

L’arbitre rappelle également que le fait pour un enseignant d’accepter ou refuser volontairement cette mesure ne remplace pas le consentement requis du Syndicat pour apporter des ajustements à la tâche prévue à la convention collective.

Syndicat des professionnelles et professionnel en milieu scolaire du Nord-Ouest c. Commission scolaire Crie[5] : Permettre l’entièreté d’une prestation de travail en télétravail pourrait constituer une contrainte excessive pour l’employeur selon les faits particuliers au dossier

Dans la deuxième décision, le syndicat contestait le refus de l’employeur de permettre à une conseillère en orientation d’effectuer l’entièreté de ses fonctions en télétravail, à titre d’accommodement raisonnable en lien avec son handicap. La preuve établissait que la plaignante aurait pu respecter ses limitations en ayant recours au transport adapté pour se rendre sur les lieux du travail, mais qu’elle avait refusé cette option sans véritable analyse et ouverture. Cette décision rappelle l’importance pour toutes les parties de participer à la recherche d’un accommodement.  Elle rappelle la nécessité d’évaluer le caractère rationnel de l’exigence de l’employeur, soit en l’espèce d’offrir des services en personne aux étudiants, et le reconnaît justifié, suivant les faits mis en preuve. L’arbitre tient à cet effet compte du rôle de la conseillère en orientation dans le contexte particulier lié à la Commission scolaire Crie. Il conclut que « briser l’isolement et maintenir la participation à la vie au travail est un objectif rationnellement lié aux tâches, [et] à plus forte raison l’accueil et l’intervention en personne auprès d’étudiants provenant d’un milieu à risque ».

3.     Négociation de conventions collectives

En contexte de négociation, la jurisprudence reconnait depuis bien longtemps le caractère délicat des communications de l’employeur qui touchent la question de la négociation en cours auprès du public ou de ses employés.

Une décision rendue en décembre dernier par le Tribunal administratif du travail le rappelle : Dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Reine Elizabeth [6], le Tribunal accueille la demande d’ordonnance provisoire déposée par le Syndicat, étant d’avis qu’à sa face même, l’employeur a entravé les activités du syndicat par le biais de ses communications, justifiant une intervention immédiate. Bien qu’il juge que de nombreux faits rapportés dans les communications puissent être défendables et véridiques, le Tribunal est d’avis que plusieurs énoncés semblent faire appel aux émotions des employés, et que d’autres propagent une opinion plutôt négative du Syndicat.

Dans le contexte, nous ne saurions insister davantage sur la prudence entourant les communications avec les employés liés à la négociation collective.

À SURVEILLER !

En décembre dernier, Québec annonçait son intention de procéder à une réforme du régime de négociation applicable dans le secteur public. Plusieurs centres de services scolaires et commissions scolaires sont présentement en processus de négociation avec le syndicat pour le renouvellement de leurs dispositions locales et arrangements locaux.

Les tribunaux interviennent par ailleurs régulièrement eu égard à la validité d’ententes qui seraient conclues en violation de la loi et de la compétence attribuée aux parties locales, comme l’illustre à nouveau une sentence rendue en janvier dernier dans le secteur collégial[7].

N’hésitez pas à faire appel à l’expertise des membres de l’équipe d’Allia avocats pour vous supporter dans le cadre de la négociation collective, que ce soit pour agir à titre de représentants à la table ou pour vous conseiller et vous accompagner en regard de tout questionnement que vous pourriez avoir en cours de route.

________________________

[1] Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788.

[2] Syndicat de l'enseignement de la région de la Mitis c. Centre de services scolaire des Monts-et-Marées, 2024 QCCA 1280.

[3] Commission scolaire Kativik c. Association des employés du Nord québécois, 2019 QCCA 961.

[4] Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Centre de services scolaire des Premières-Seigneuries, SAE 9798, Me Dominic Garneau, le 23 décembre 2024.

[5] Syndicat des professionnelles et professionnel en milieu scolaire du Nord-Ouest c. Commission scolaire Crie, SAE 9800, M. Éric-Jan Zubrzycki, le 14 janvier 2025.

[6] Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Reine Elizabeth c. 3428826 Canada Ltd., 2024 QCTA 4568, Guy Blanchet, juge administratif, le 17 décembre 2024.

[7] Syndicat des professeures et professeurs du cégep de Saint-Jérôme c. Cégep de Saint-Jérôme, SAE 9803, Me Serge Brault, arbitre, le 23 janvier 2025.

*Cette chronique ne constitue pas un avis juridique. Pour toute question particulière, n’hésitez pas à contacter notre équipe.

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