Vigie juridique - Mars 2025
En ce retour de semaine de relâche, Allia avocats désire vous partager les développements récents de certains dossiers et ceux à surveiller pouvant avoir une incidence sur la gestion de vos ressources humaines :
1. Costco 20 ans plus tard : Une fin d’emploi pour motif d’incapacité n’est pas assujettie au respect de critères rigides
2. Fonctions exécutées en entier en télétravail : une incompatibilité dans le milieu de l’éducation ?
3. Négociation de conventions collectives
1. Costco 20 ans plus tard : Une fin d’emploi pour motif d’incapacité n’est pas assujettie au respect de critères rigides
Il y a maintenant vingt (20) ans, la Cour d’appel rendait un arrêt phare dans l’affaire Costco Wholesale[1], établissant les balises applicables lorsqu’un employeur met fin à l’emploi d’un employé pour motif administratif d’incapacité :
1. L’employé doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées;
2. Ses lacunes lui ont été signalées;
3. Il doit avoir obtenu le support nécessaire pour atteindre ses objectifs;
4. Il doit avoir bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
5. Il doit avoir été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.
L’automne dernier, la Cour d’appel s’est saisie de l’affaire Syndicat de l'enseignement de la région de la Mitis c. Centre de services scolaire des Monts-et-Marées, dans laquelle l’arbitre a rejeté le grief contestant le congédiement d’une enseignante[2].
Le syndicat invoquait que l’arbitre avait rendu une décision déraisonnable en qualifiant le congédiement de l’enseignante d’administratif et en appliquant erronément les critères applicables en pareille matière découlant de l’affaire Costco.
La Cour d’appel rappelle la grande discrétion dont dispose l’arbitre dans la qualification du congédiement, tout en reconnaissant qu’une situation peut comporter des aspects à la fois administratifs et disciplinaires. C’est ainsi que les tribunaux trancheront le plus souvent la question en concluant que le congédiement est essentiellement de nature disciplinaire, ou encore essentiellement administratif.
La Cour d’appel rappelle également de manière claire que les critères applicables en matière de congédiement administratif pour incapacité et rendement insatisfaisant doivent être analysés de manière contextuelle et globale.
Ce n’est pas la première fois que la Cour d’appel rappelle qu’il faut éviter une application rigide de ces critères[3]. Ce faisant, il nous apparait que les débats par lesquels les syndicats réclament l’annulation d’une fin d’emploi, au seul motif que l’employé n’a pas été prévenu explicitement qu’il risquait de perdre son emploi par exemple, n’ont manifestement plus leur raison d’être. Les circonstances de la fin d’emploi peuvent justifier l’absence de cet ultimatum.
2. Fonctions exécutées en entier en télétravail : une incompatibilité dans le milieu de l’éducation ?
Deux décisions ont été rendues dans les derniers mois dans le secteur de l’éducation, dans lesquelles la possibilité pour un employé d’exécuter l’ensemble de ses tâches en télétravail est analysée.
Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Centre de services scolaire des Premières-Seigneuries[4] : La fonction enseignante incompatible avec le télétravail
Dans la première, l’arbitre statue sur le droit de l’employeur de permettre à des enseignants de faire du télétravail dans un contexte où ces derniers souhaitaient éviter de recourir à leur banque de congés maladie lors d’un isolement lié à la COVID-19. Suivant cette mesure, l’enseignant serait appelé à travailler depuis son domicile alors que les élèves seraient présents en classe, en présence d’un adulte. Bien que cette mesure n’ait pas été mise en place compte tenu des contestations judiciaires puis de la fin de l’isolement lié à la COVID-19, le Syndicat sollicitait une décision sur la question, s’opposant vivement au télé-enseignement.
L’arbitre est d’avis que le droit des centres de services scolaires d’assigner un enseignant à un lieu autre que l’école n’est pas sans limite. Il constate que la convention comporte une obligation de présence à l’école à la clause 8-5.01, que la répartition des heures de travail est encadrée de manière détaillée à la convention et que plusieurs attributions fondamentales de la fonction d’enseignant exigent une présence physique à l’écoles, telles que l’administration de cours et leçons, les activités étudiantes, l’encadrement et la supervision. L’arbitre conclut ainsi que la marge de manœuvre dont dispose l’employeur pour assigner un enseignant dans un lieu autre que l’école ne lui permet pas de morceler la fonction et confier certaines de ses attributions à un adulte qui n’est pas enseignant.
L’arbitre rappelle également que le fait pour un enseignant d’accepter ou refuser volontairement cette mesure ne remplace pas le consentement requis du Syndicat pour apporter des ajustements à la tâche prévue à la convention collective.
Syndicat des professionnelles et professionnel en milieu scolaire du Nord-Ouest c. Commission scolaire Crie[5] : Permettre l’entièreté d’une prestation de travail en télétravail pourrait constituer une contrainte excessive pour l’employeur selon les faits particuliers au dossier
Dans la deuxième décision, le syndicat contestait le refus de l’employeur de permettre à une conseillère en orientation d’effectuer l’entièreté de ses fonctions en télétravail, à titre d’accommodement raisonnable en lien avec son handicap. La preuve établissait que la plaignante aurait pu respecter ses limitations en ayant recours au transport adapté pour se rendre sur les lieux du travail, mais qu’elle avait refusé cette option sans véritable analyse et ouverture. Cette décision rappelle l’importance pour toutes les parties de participer à la recherche d’un accommodement. Elle rappelle la nécessité d’évaluer le caractère rationnel de l’exigence de l’employeur, soit en l’espèce d’offrir des services en personne aux étudiants, et le reconnaît justifié, suivant les faits mis en preuve. L’arbitre tient à cet effet compte du rôle de la conseillère en orientation dans le contexte particulier lié à la Commission scolaire Crie. Il conclut que « briser l’isolement et maintenir la participation à la vie au travail est un objectif rationnellement lié aux tâches, [et] à plus forte raison l’accueil et l’intervention en personne auprès d’étudiants provenant d’un milieu à risque ».
3. Négociation de conventions collectives
En contexte de négociation, la jurisprudence reconnait depuis bien longtemps le caractère délicat des communications de l’employeur qui touchent la question de la négociation en cours auprès du public ou de ses employés.
Une décision rendue en décembre dernier par le Tribunal administratif du travail le rappelle : Dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Reine Elizabeth [6], le Tribunal accueille la demande d’ordonnance provisoire déposée par le Syndicat, étant d’avis qu’à sa face même, l’employeur a entravé les activités du syndicat par le biais de ses communications, justifiant une intervention immédiate. Bien qu’il juge que de nombreux faits rapportés dans les communications puissent être défendables et véridiques, le Tribunal est d’avis que plusieurs énoncés semblent faire appel aux émotions des employés, et que d’autres propagent une opinion plutôt négative du Syndicat.
Dans le contexte, nous ne saurions insister davantage sur la prudence entourant les communications avec les employés liés à la négociation collective.
À SURVEILLER !
En décembre dernier, Québec annonçait son intention de procéder à une réforme du régime de négociation applicable dans le secteur public. Plusieurs centres de services scolaires et commissions scolaires sont présentement en processus de négociation avec le syndicat pour le renouvellement de leurs dispositions locales et arrangements locaux.
Les tribunaux interviennent par ailleurs régulièrement eu égard à la validité d’ententes qui seraient conclues en violation de la loi et de la compétence attribuée aux parties locales, comme l’illustre à nouveau une sentence rendue en janvier dernier dans le secteur collégial[7].
N’hésitez pas à faire appel à l’expertise des membres de l’équipe d’Allia avocats pour vous supporter dans le cadre de la négociation collective, que ce soit pour agir à titre de représentants à la table ou pour vous conseiller et vous accompagner en regard de tout questionnement que vous pourriez avoir en cours de route.
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[1] Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788.
[2] Syndicat de l'enseignement de la région de la Mitis c. Centre de services scolaire des Monts-et-Marées, 2024 QCCA 1280.
[3] Commission scolaire Kativik c. Association des employés du Nord québécois, 2019 QCCA 961.
[4] Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Centre de services scolaire des Premières-Seigneuries, SAE 9798, Me Dominic Garneau, le 23 décembre 2024.
[5] Syndicat des professionnelles et professionnel en milieu scolaire du Nord-Ouest c. Commission scolaire Crie, SAE 9800, M. Éric-Jan Zubrzycki, le 14 janvier 2025.
[6] Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Reine Elizabeth c. 3428826 Canada Ltd., 2024 QCTA 4568, Guy Blanchet, juge administratif, le 17 décembre 2024.
[7] Syndicat des professeures et professeurs du cégep de Saint-Jérôme c. Cégep de Saint-Jérôme, SAE 9803, Me Serge Brault, arbitre, le 23 janvier 2025.
*Cette chronique ne constitue pas un avis juridique. Pour toute question particulière, n’hésitez pas à contacter notre équipe.
Vigie juridique - printemps 2023
Droit du travail
À l’approche des vacances estivales et à l’issue d’un printemps fort occupé, y compris au sein de la jurisprudence, voici un survol de certaines décisions rendues qui ont capté notre attention! Bonne lecture !
Les obligations de l’employeur en matière de harcèlement psychologique en contexte syndical
Une sentence récente[1], rendue par l’arbitre Dominique-Anne Roy et faisant intervenir le CISSS de la Gaspésie, s’avère particulièrement intéressante sur la question. Dans cette affaire, l’employeur avait décidé de confier à une firme externe le mandat d’enquêter sur des allégations de harcèlement de nature sexuelle portées par une de ses employées. Ces évènements étaient survenus tant sur le lieu du travail qu’à l’extérieur de celui-ci, toujours dans le cadre d’activités syndicales. Selon les faits présentés, le Syndicat avait refusé de tenir une enquête interne au sujet des allégations, au motif d’absence formelle de plainte.
Le présumé harceleur était président du Syndicat et la présumée victime, trésorière pour le Syndicat. Tous deux étaient rémunérés par l’employeur, parfois libérés pour affaires syndicales conformément à la convention collective applicable. L’enquête réalisée par l’employeur avait mené à une suspension disciplinaire de trois mois du président du Syndicat.
À l’audition, le Syndicat a invoqué que les personnes concernées agissaient pour le compte du Syndicat et ne pouvaient donc être considérées comme des salariées de l’employeur au sens de l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail. Par conséquent, pour le Syndicat, il s’agissait de questions de régie interne de l’association sur lesquelles l’employeur ne pouvait s’ingérer. L’arbitre rejette cet argument et souligne que c’est le statut de salarié qui donne accès aux libérations syndicales et qui amène les personnes concernées à être en contact entre elles dans le cadre de leurs occupations liées à la vie associative. D’ailleurs, le champ d’application de la Politique contre le harcèlement s’étend à toutes les situations ayant un lien avec un travail, que celles-ci soient à l’intérieur ou en dehors des établissements de l’employeur.
À la lumière des obligations légales de l’employeur et de sa propre politique en la matière, l’arbitre juge que l’enquête de l’employeur était légitime. Elle conclut que le milieu de travail doit se concevoir de manière large et libérale, en conformité avec les impératifs de la loi de proscrire et d’intervenir pour éliminer le harcèlement.
L’arbitre rappelle par ailleurs que l’employeur peut être justifié d’intervenir en cas de gestes fautifs survenus à l’extérieur du travail suivant l’incidence des événements en cause sur la vie de l’entreprise et le climat de travail.
L’arbitre rejette également les prétentions syndicales suivant lesquelles le droit fondamental à la liberté d’association, devant être exercé sans entrave ni représailles, empêchait l’employeur d’intervenir. L’arbitre note que l’affaire dont elle est saisie ne traite pas d’une situation liée à l’un ou l’autre des aspects de la vie associative, de son fonctionnement interne ou de ses mécanismes de démocratie syndicale (exemples : adhésion syndicale, expulsion des rangs du Syndicat, processus d’élection, etc.). À ces derniers égards, l’arbitre souligne que le tribunal d’arbitrage n’aurait pas compétence pour disposer de ces questions syndicales internes. Dans le cas en l’espèce, les conduites concernaient des attouchements non sollicités, des tentatives de séduction et divers propos et comportements qui étaient le fruit d’une initiative personnelle sans lien avec le travail syndical.
Il ne saurait d’ailleurs y avoir une immunité en situation particulière de harcèlement. En somme, la protection et les obligations particulières d’ordre public en matière de harcèlement ne peuvent être écartées ou négligées.
Les employés en télétravail ont-ils droit à l’indemnité pour le rappel au travail?
La Loi sur les normes du travail[2] prévoit une indemnité minimale lorsqu’un employé est rappelé au travail à la demande expresse de son employeur. Une convention collective peut également prévoir une indemnité plus avantageuse. Bien que les termes puissent varier d’une convention à une autre, la jurisprudence exige généralement un déplacement physique au lieu habituel de travail, soit souvent un établissement de l’employeur. Que se passe-t-il toutefois lorsque ce lieu habituel de travail est le domicile des employés ?
L’arbitre Francine Lamy s’est récemment penchée sur cette question dans l’affaire Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec inc. et Hydro-Québec[3]. Dans cette affaire, l’employeur rappelait les employés en dehors de leur horaire pour effectuer du travail d’urgence à partir de leur domicile, lequel constituait leur lieu « habituel » ou « normal » de travail.
L’arbitre conclut que le déplacement physique ne peut être une condition pour bénéficier de l’indemnité de rappel au travail prévue à la convention collective. Retourner au lieu de télétravail pour une urgence implique les mêmes exigences qu’un retour à un établissement de l’employeur (dans ce cas, le quartier général), soit de délaisser leurs activités de nature privée pour se connecter à leur poste de travail habituel. L’arbitre conclut donc que l’indemnité pour le rappel au travail en cas d’urgence doit être versée aux employés en télétravail.
*Cette décision fait présentement l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure.
Les manquements aux règles sanitaires en contexte pandémique : des fautes graves!
Nous bénéficions de plus en plus de décisions portant sur des contestations de mesures disciplinaires dans le contexte des règles liées à la Covid-19. Force est de constater que les fautes commises, en contravention aux règles sanitaires, sont jugées sévèrement.
En effet, dans une décision récente[4], l’arbitre Louise-Hélène Guimond confirme la suspension disciplinaire du plaignant d’une durée de 5 mois pour s’être présenté sur les lieux du travail malgré qu’il présentait des symptômes et qu’il était en attente des résultats de son test de dépistage.
Dans une autre sentence[5], l’arbitre Hélène Bédard réduit la suspension disciplinaire d’une durée de 4 semaines à 2 semaines octroyée au plaignant pour s’être présenté sur les lieux du travail alors que sa fille présentait des symptômes de la Covid-19 et était en attente d’un résultat d’un test de dépistage. L'arbitre tient notamment compte du caractère expéditif de la sanction, l’employeur n’ayant pas tenu compte de la version du plaignant.
Ces décisions s’ajoutent à celles déjà rendues faisant état de sévérité de sanctions en pareil contexte. Citons à titre d’exemple une suspension de quatre (4) mois maintenue par sentence arbitrale en 2021 pour avoir refusé délibérément d’appliquer une directive de lavage de mains[6].
Dispositions anti-briseurs de grève/lock-out : est-ce que la notion d’«établissement» de l’employeur s’étend aux espaces privés du salarié en télétravail?
Pendant la durée d’une grève ou d’un lock-out, le Code du travail[7] interdit à l’employeur d’utiliser les services de certaines personnes ou salariés dans l’établissement ou dans un autre de ses établissements où la grève ou le lock-out a été déclaré pour effectuer les tâches des salariés en grève ou lock-out. Peut-il cependant recourir aux services des salariés hors de l’unité de négociation en télétravail pour ce faire? La Cour supérieure a récemment rendu deux jugements opposés sur cette question.
Affaire Unifor
En avril 2023, la Cour renverse en partie la décision rendue par le Tribunal administratif du travail (ci-après le «TAT») en première instance dans l’affaire Unifor, section locale 177 c. Groupe CRH Canada inc.[9]. En première instance, le TAT conclut que la résidence d’une salariée, ne faisant pas partie de l’unité de négociation en lock-out, répond à la définition d’établissement au sens du Code du travail.
En concluant ainsi, le TAT crée le concept d’«établissement déployé» suivant lequel l’«établissement» de l’employeur comprend non seulement le lieu strictement physique, mais aussi les lieux où cet établissement se déploie virtuellement. Selon le TAT, conclure autrement permettrait à l’employeur de contourner les dispositions anti-briseurs de grève au moyen du télétravail et irait à l’encontre de l’intention du législateur.
La Cour supérieure conclut que cette décision est déraisonnable. Elle souligne que d’élargir la portée d’«établissement» pour y inclure la résidence de la salariée en télétravail est incompatible aux enseignements de la Cour d’appel. Selon ce courant majoritaire, l’«établissement» se veut « le lieu précis où l’employeur peut théoriquement verrouiller les portes » et « où les salariés de l’unité de négociation en grève exercent habituellement leurs fonctions ». La résidence de la salariée en télétravail ne répondant pas à ces critères, l’employeur ne contrevient donc pas aux dispositions anti-briseurs de grève lorsqu’il utilise ses services.
Le juge administratif s’écarte de ce courant en s’appuyant sur la constitutionnalisation du droit de grève et en faisant le constat que la COVID-19 a permis le développement important du télétravail, permettant ainsi aux employeurs de faire indirectement ce que les dispositions anti-briseurs de grève leur interdisent.
La Cour d’appel a déjà conclu qu’il n’était pas déraisonnable de revisiter l’interprétation de la notion d’«établissement» à l’article 109.1 du Code du travail au regard de la constitutionnalisation du droit de grève[10]. Encore faut-il que des éléments de preuve puissent appuyer le raisonnement qui le supporte, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La démonstration du déséquilibre de force de la négociation entre les parties doit pouvoir justifier une interprétation aussi large d‘une disposition législative. À défaut, selon la Cour, la modification d’une disposition est plutôt du ressort du législateur.
Enfin, la Cour ajoute que cette modification de la portée de l’article 109.1 du Code du travail par le juge administratif a un impact direct sur les pouvoirs de l’enquêteur pouvant être dépêchés par le ministre, conformément à l’article 109.4 du Code du travail, et en aucun temps le juge administratif ne s’y attarde à son raisonnement. Une demande pour permission d’appeler a été déposée le 1er juin 2023. La demande sera entendue le 25 juillet 2023, nous suivrons de près l’évolution de ce débat juridique!
Affaire Coop Novago
Quelques jours après que cette décision de la Cour supérieure ait été rendue dans Unifor, la Cour rend un autre jugement sur le même sujet, mais cette fois-ci en confirmant en partie la décision rendue par le TAT en première instance.
Dans cette nouvelle affaire[11], la Cour considère pour sa part qu’il était raisonnable pour le TAT d’interdire à l’employeur d’avoir recours à des salariées non couvertes par l'accréditation syndicale pour exécuter, en télétravail, des tâches relevant normalement des salariées en grève. Dans son analyse, la Cour est d’avis que l’actualisation du terme « établissement »découlant de la nouvelle réalité du travail virtuel et la création du concept d’«établissement déployé» justifiaient le TAT de conclure ainsi.
L’analyse du TAT en première instance se fondait sur la décision rendue par le TAT dans Unifor précédemment présenté.
Ce débat juridique, à notre avis, n’a pas terminé de faire couler beaucoup d’encre notamment en raison du vaste déploiement du télétravail dans les dernières années!
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[1] Syndicat du personnel de bureau du CISSS de la Gaspésie c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie, 2023 CanLII 25390, Dominique-Anne Roy, arbitre, le 3 avril 2023.
[2] RLRQ, c. N-1.1, art. 58.
[3] Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec inc. et Hydro-Québec, 2023 QCTA 91, Francine Lamy, arbitre, le 8 mars 2023.
[4] Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1983 et Société de transport de Montréal (Michel Lemay), AZ-51938157, Louise-Hélène Guimond, arbitre, le 9 mai 2023.
[5] Syndicat des travailleurs et travailleuses de Hitachi-Québec (CSN) et Hitachi Énergie Canada inc. (Bruno Paulin), AZ-51936314, Hélène Bédard, arbitre, le 10 mai 2023.
[6] Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 5159 c. QSL Canada inc., 2021 CanLII 73152 (QC SAT), Dominic Garneau, arbitre, le 12 août 2021.
[7] RLRQ, c. C-27, art. 109.1
[8] Groupe CRH Canada inc. c. Tribunal administratif du travail, 2023 QCCS 1259, l’Honorable Louis-Paul Cullen, j.c.s., le 21 avril 2023.
[9] Unifor, section locale 177 c. Groupe CRH Canada inc., 2021 QCTAT 5639, Pierre-Étienne Morand, juge administratif, le 25 novembre 2021.
[10] Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1450 c. Journal de Québec, 2011 QCCA 1638, les Honorables Beauregard, Forget et Gagnon, j.c.a., le 14 septembre 2011; Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 2161, les Honorables Morissette, Gagnon et Gagné, j.c.a, le 17 décembre 2018.
[11] Coop Novago c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Coop Lanaudière – CSN, 2023 QCCS 1539, 10 mai 2023.
Bonne période estivale!
Allia avocats poursuit sa vigie pour porter à votre attention les prochains développements jurisprudentiels.
Cette chronique ne constitue pas un avis juridique. Pour toute question particulière, n’hésitez pas à contacter notre équipe.
Dans un jugement récent, la Cour supérieure confirme la validité constitutionnelle des dispositions de la Loi sur l’instruction publique, portant sur l’obligation de participer à un minimum de 30 heures d’activités de formation continue pour le personnel enseignant.
L’IMPORTANCE DE MAINTENIR ET DE PROMOUVOIR L’EXCELLENCE PROFESSIONNELLE DES ENSEIGNANTES ET ENSEIGNANTS QUÉBÉCOIS
L’obligation professionnelle de formation continue chez le personnel enseignant est mise au jeu devant nos tribunaux de droit québécois. Nous vous présentons dans cette chronique les éléments clés du jugement de la Cour supérieure et ceux d’une sentence arbitrale récente examinant le droit de direction d’imposer certaines formations au regard de cette nouvelle obligation légale du personnel enseignant.
Cour supérieure
Dans un jugement récent, la Cour supérieure[1] confirme la validité constitutionnelle des dispositions de la Loi sur l’instruction publique [2], portant sur l’obligation de participer à un minimum de 30 heures d’activités de formation continue [3] pour le personnel enseignant.
Cette décision d’importance rappelle le cadre du régime particulier de négociation collective applicable au personnel enseignant du secteur public afin de répondre à la première question: est-ce que ces dispositions légales contreviennent aux droits d’association tels qu’ils s’exercent dans ce cadre?
Par ce recours, les demandeurs, soit la FAE [4] et ses syndicats affiliés, soutiennent en effet que l’obligation ainsi imposée contrevient à la liberté d’association.
Les chartes canadienne et québécoise en matière de droits et libertés [5] protègent le droit à la liberté d’association, qui comprend le droit de grève. L’interprétation de la portée de ce droit a fait couler beaucoup d’encre depuis l’affaire Health Services [6] rendue en 2007 par la Cour suprême, notamment en 2015 dans le cadre de l’affaire Saskatchewan [7]. Voici les principes qui s’en dégagent:
Les chartes canadienne et québécoise protègent le droit à un processus véritable de négociation collective, mais ne garantissent pas l’atteinte de résultats ni la réalisation des objectifs poursuivis par l’association de travailleurs lors d’un tel processus.
Elles ne confèrent pas non plus de droit à un modèle ou régime particulier de relations de travail.
Toute restriction à la négociation collective ne constitue pas une atteinte à la liberté d’association garantie par les chartes. L’entrave aux droits de négociation collective doit en ce sens être substantielle.
Les dispositions contestées, par leurs effets ou objets, constituent-elles une ingérence dans le processus de négociation collective?
Le cas échéant, l’ingérence dans le processus de négociation collective est-elle substantielle au point de constituer une atteinte à la liberté d’association?
À ce titre, deux facteurs sont considérés :
Les dispositions contestées affectent-elles des sujets d’importance pour la liberté d’association des enseignants et leur capacité de réaliser des objectifs communs en travaillant de concert?
Les dispositions contestées respectent-elles le processus de consultation et de négociation de bonne foi?
Dans l’affaire que nous commentons, dans un premier temps, la Cour procède à l’analyse de ces critères et conclut :
Qu’il y a eu ingérence dans le processus de négociation en l’espèce puisque les dispositions contestées imposent au personnel enseignant de nouvelles conditions de travail, non négociées.
Que ces conditions auraient pu faire l’objet d’une négociation collective. Il s’agit donc d’une ingérence législative dans la négociation des conditions de travail du personnel enseignant.
Dans un deuxième temps, la Cour supérieure conclut que cette entrave n’est pas substantielle, car bien que le sujet soit d’importance notamment pour les enseignantes et enseignants, qu’il fasse l’objet de négociations depuis plus de 50 ans et qu’il doive faire l’objet de dialogues entre le Syndicat et l’employeur, l’impact limité de la mesure législative en cause permet de diminuer l’atteinte qui est somme toute relative :
«[87] Sans banaliser l’importance de l’obligation imposée aux enseignants, force est de constater que l’ingérence entraînée dans la négociation collective par les Dispositions contestées est somme toute, relative. »
La Cour est en effet d’avis que l’obligation de participer à un minimum de 30 heures de formation continue s’accompagne d’autres mesures qui ont une incidence atténuante sur la gravité de l’ingérence, notamment parce qu’elles reconnaissent l’autonomie professionnelle de l’enseignant à l’égard de son perfectionnement. Selon la Cour, l’ingérence est loin d’être la plus grave, d’autant plus que ce minimum d’heures de formation continue ne contredit aucune disposition de la convention collective.
Dans ces circonstances, la Cour est finalement d’avis que les dispositions contestées n’ont pas pour objet ou pour effet de détourner le personnel enseignant de l’action collective. Elles ne rendent pas la négociation d’apparence futile ou encore les activités associatives des enseignants inefficaces, privant ainsi ces derniers d’une liberté d’association réelle.
Même si la Cour conclut à l’absence de violation de la liberté d’association, elle examine tout de même les critères de justification, si atteinte il y avait eu.
À ce titre, la Cour est d’avis que l’objectif de maintenir et de promouvoir l’excellence professionnelle des enseignantes et enseignants québécois est un objectif qui répond à un besoin urgent et réel. Elle est aussi d’avis qu’il existe un lien rationnel entre l’objectif et la mesure, qu’elle constitue une atteinte minimale aux droits garantis pour les chartes et qu’il existe une proportionnalité entre les effets de la mesure et les objectifs poursuivis.
Enfin, quant aux effets de la mesure, elle est d’avis que les effets bénéfiques l’emportent sur les effets néfastes allégués par la partie syndicale.
Bref, même si les dispositions contestées entravaient de façon substantielle la négociation, une atteinte à la liberté d’association qui en résulterait serait justifiée au sens de l’article premier de la Charte canadienne et de l’article 9.1 de la Charte québécoise.
Reste à voir comment se vivra cette obligation en corrélation avec les dispositions portant sur le perfectionnement prévues dans les conventions collectives. Allia avocats reste à l’affût des développements jurisprudentiels!
Décision arbitrale
Le 24 février 2023, Me Yves St-André rend une décision[8] dans laquelle il conclut que l’introduction de l’obligation de formation continue à la Loi sur l’instruction publique n’a pas pour effet de limiter le pouvoir de gestion d’assigner le personnel enseignant à des formations obligatoires. Il s’agit, en l’espèce, de formations organisationnelles mises en place par le Centre de services. Elles s'inscrivent notamment dans le Plan d’engagement vers la réussite.
Dans son raisonnement, l’arbitre prend soin de faire l'analyse de l’environnement légal. À son avis, l'obligation professionnelle légale cohabite avec le droit de gestion. Il souligne que les enseignants demeurent libres de faire reconnaître ou non ces formations requises et offertes par le Centre de services. Il ajoute que cette obligation de formation ne contrevient à aucune disposition de la convention collective comme l’affirme la Cour supérieure dans son récent jugement.
À son avis, ces formations ne relèvent pas du comité paritaire de perfectionnement dont les modalités sont prévues à la convention collective.
Cette décision est la première depuis l’introduction de cette obligation légale, nul doute que le débat sur la formation continue continuera de faire couler beaucoup d’encre !
Allia avocats reste à l’affût des développements jurisprudentiels!
Cette chronique ne constitue pas un avis juridique, pour toute question particulière, n’hésitez pas à contacter notre équipe!
1. FAE et als c. PGQ, 12 octobre 2022.
2. RLRQ c. I-13.3
3. Cette obligation doit être remplie par période de deux années scolaires.
4. Fédération autonome de l’enseignement.
5. Charte canadienne des droits et libertés, (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11)et Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.
6. 2007 CSC 27.
7. 2015 CSC 4.
8. Syndicat de l’enseignement des Basses-Laurentides et Centre des services scolaire des Mille-îles, SAE 9649, Yves St-André, arbitre, le 24 février 2023